Port-au-Prince, le 22 octobre 2024.-
La visite récente du Premier ministre Garry Conille au Quartier Général des Forces Armées d’Haïti (FAd’H) a suscité un vif débat public, particulièrement après la diffusion d’une vidéo qui le montre donnant des instructions aux militaires. Dans cet extrait devenu viral, Conille interroge les soldats pour savoir s’ils sont « avec lui » et prêts à « batailler pour lui », une scène qui rappelle à beaucoup les dérives autoritaires. Ce geste, perçu comme une appropriation des fonctions réservées exclusivement au Président de la République, a déclenché une vague d’indignation parmi les observateurs et les analystes politiques du pays.
Sur son compte X (anciennement Twitter), l’économiste Eddy N. Labossière n’a pas mâché ses mots. Se moquant ouvertement de l’attitude du Premier ministre, il l’a qualifié de « bluffeur » tout en rappelant les promesses non tenues de ce dernier. « Le PM est-il un Bluffeur ? On se rappelle qu’il avait promis de pourchasser les bandits, quartier par quartier, ruelle par ruelle, maison par maison, » a-t-il écrit avec une ironie cinglante, avant de demander la démission de Conille. Selon Labossière, le Premier ministre n’a aucune stratégie réelle pour assurer la sécurité du pays, se contentant de « jouer un rôle » sans plan concret : « Aujourd’hui, on constate qu’il n’avait aucune stratégie, aucun plan élaboré avec la PNH et autres. PM, vous êtes incapable, partez ! »
Cet appel à la démission n’est pas isolé. Daly Valet, journaliste respecté et voix influente du paysage médiatique haïtien, a lui aussi exprimé ses réserves, mais sous un angle plus juridique. Valet rappelle que, selon la Constitution, seul le Président de la République est le commandant en chef des Forces Armées d’Haïti. « Dans quel article de la Constitution du pays est-il mentionné que le Premier ministre a le pouvoir de convoquer le commandant des FADH et de procéder à l’affectation et à la rotation des soldats dans l’armée ? » s’interroge-t-il, dans un commentaire mordant.
Cette question soulève un problème fondamental : la méconnaissance ou le mépris des prérogatives constitutionnelles de la part de ceux qui sont censés diriger. Valet va plus loin en critiquant non seulement le Premier ministre, mais aussi le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), dont il dénonce l’inaction et la passivité face à de telles dérives. « Ni le Premier ministre ni le CPT n’ont pris le temps, ne serait-ce qu’une journée, pour comprendre le rôle d’un Premier ministre et d’un Président ainsi que leurs pouvoirs au sein de la Constitution, » affirme-t-il. Le journaliste conclut son propos en appelant à une clarification urgente des rôles de chacun dans la gestion du pays, suggérant même que le CPT, en tant qu’entité purement symbolique, ferait mieux de se retirer si son seul rôle est d’observer.
Cette intervention de Conille au sein des FAd’H semble marquer un nouveau tournant dans une gestion gouvernementale de plus en plus critiquée. Après le mandat controversé d’Ariel Henry, certains craignent que le pays soit désormais confronté à une répétition des mêmes erreurs, où un Premier ministre accumule des pouvoirs de manière non constitutionnelle. Valet ne mâche pas ses mots : « Si le Premier ministre Garry Conille devient un nouveau ‘roi’ tout-puissant comme Ariel Henry, qu’ils aient au moins la décence de l’annoncer au pays. »
Cette situation révèle, une fois de plus, les tensions palpables au sein de l’exécutif haïtien, dans un contexte où l’autorité du Premier ministre est contestée, et où le respect des institutions semble de plus en plus dilué. Les réactions sur les réseaux sociaux montrent bien que la société civile ne restera pas silencieuse face à de telles dérives. Dans ce climat d’instabilité, une chose est certaine : le peuple haïtien attend des réponses claires sur la gestion de son armée et de ses forces de sécurité, et exige un retour à une gouvernance basée sur le respect des lois et des prérogatives constitutionnelles.