Haïti : Des mandats controversés contre les Conseillers-Présidents – Un juge d’instruction au cœur de la polémique

Port-au-Prince, le 4 décembre 2024.-

Le système judiciaire haïtien est une fois de plus au centre des débats, alors que le juge d’instruction Benjamin Félismé émet des mandats de comparution contre les Conseillers-Présidents Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin. Ces mandats interviennent dans le cadre d’une enquête sur un scandale de corruption présumé, impliquant 100 millions de gourdes de la Banque Nationale de Crédit (BNC). Cependant, ces actes suscitent une vague de critiques et mettent en lumière des questions fondamentales sur la séparation des pouvoirs et le respect de la Constitution de 1987.

Guichard Doré, analyste politique et constitutionnel, a vivement critiqué la gestion de ce dossier. Selon lui, les mandats émis par le juge Benjamin Félismé violent les dispositions claires de la loi fondamentale du pays. Doré rappelle que la Constitution haïtienne prévoit une procédure spécifique pour juger les membres de l’Exécutif ou d’autres hauts fonctionnaires accusés de fautes graves. Ces derniers relèvent de la compétence exclusive de la Haute Cour de Justice, une juridiction spéciale composée des membres du Sénat et présidée par le président de la Cour de Cassation.

Conformément aux articles 185 à 188 de la Constitution, toute procédure contre des Conseillers-Présidents doit être initiée par une mise en accusation votée à la majorité des deux tiers des députés. Ce n’est qu’après cette étape que le Sénat peut se constituer en Haute Cour de Justice pour juger les personnalités mises en cause. Dans le cas présent, le juge Lismé aurait donc dû se déclarer incompétent et transférer le dossier à la Chambre des Députés, même si cette dernière est actuellement dysfonctionnelle. Pour Doré, ignorer cette procédure revient à bafouer les principes fondamentaux de l’État de droit.

Plusieurs observateurs politiques et organisations, dont la plateforme Résistance Démocratique (RED), voient dans cette affaire une manœuvre politique visant à affaiblir le Conseil Présidentiel de Transition (CPT). RED affirme que certains secteurs influents cherchent à utiliser le système judiciaire pour discréditer et démanteler le CPT, ouvrant ainsi la voie à la dissolution de cet organe en faveur de leurs propres intérêts.

L’historique des décisions du juge Benjamin Félismé soulève également des interrogations. En 2020, face à une affaire similaire impliquant le feu président Jovenel Moïse, ce même juge s’était déclaré incompétent, invoquant le statut spécial du président de la République. Aujourd’hui, il adopte une position différente, ce qui alimente les spéculations sur une possible politisation de la justice. « Pourquoi ce revirement de position ? » s’interrogent des analystes. Cette incohérence, dénoncent-ils, mine davantage la crédibilité déjà fragile du système judiciaire haïtien.

Dans ce contexte, la crise actuelle met en lumière les fragilités institutionnelles du pays. Alors que le Parlement est dysfonctionnel, les Conseillers-Présidents jouent un rôle clé dans la transition politique en cours. Leur mise en cause pourrait avoir des répercussions graves sur la stabilité du Conseil Présidentiel de Transition et, par ricochet, sur l’organisation des prochaines élections.

Pour Guichard Doré et d’autres spécialistes, la solution réside dans le respect strict des dispositions constitutionnelles et dans l’établissement d’un dialogue politique pour résoudre les différends. Laisser des considérations partisanes interférer avec les procédures judiciaires pourrait conduire à une érosion supplémentaire de la confiance des citoyens dans les institutions publiques.

L’affaire des Conseillers-Présidents est révélatrice des défis institutionnels auxquels Haïti fait face. Alors que la population réclame justice et équité, les décisions prises dans ce dossier pourraient définir l’avenir de l’État de droit dans le pays.

Pour l’heure, le flou persiste, et les appels à une gestion impartiale et constitutionnelle du dossier se multiplient. Une chose est certaine : les regards restent tournés vers le juge Benjamin Félismé, dont les actes continueront de susciter débats et controverses.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *